Cocotiers magiques et médicinaux: mythe ou réalité?

En Polynésie française, les utilisations du cocotier dans la médecine traditionnelle sont nombreuses, soit en tant que principe actif, soit en tant qu'ingrédient. L'huile, le lait ou l'eau de coco sont alors mélangés à d'autres substances actives. Pour le cocotier, les variétés principalement utilisées en médecine traditionnelles sont nommées oviri (sauvage) ou ereere (noir).

Nous avons tout d'abord recherché des informations dans la littérature ancienne. La première description des variétés est sans doute celle du livre « Tahiti au temps anciens » de Teuira Henry, publié en 1848. 
Ce livre cite 16 types de cocotiers, dont celui nommé oviri, qui se caractérise par un pédoncule (attache du régime) et rachis (nervure principale de la feuille) de couleur vert foncé, et des noix vertes. En 1860 le pharmacien Gilbert Cuzent décrit la variété oviri comme produisant des "fruits noirâtres" mais n'indique pas de propriétés médicinales. D'autres inventaires des variétés de cocotier ont été réalisés par C. Henry en 1920, par F. B. H Brown en 1931 (pour les Marquises seulement) par R. Millaud en 1954 et par P. Pétard en 1972. C. Henry ne parle pas du cocotier médicinal; Brown se contente de citer une cinquantaine de noms de variétés marquisiennes, sans préciser pour la plupart en quoi elles diffèrent et sans parler de cocotier médicinal. Décrivant le cocotier oviri, Millaud et Pétard parlent simplement de cocotiers à fruits verts; Millaud décrit essentiellement les cocotiers dans les plantations réalisées pour le coprah, là ou les variétés traditionnelles sont mélangées depuis bien longtemps. Paul Pétard écrit que, pour la médecine, c'est presque toujours la variété oviri ou ereere qui est choisie, mais que parfois on utilise aussi des variétés ura ou uteute.

©R. Bourdeix, 2021, section CFC

Après avoir consulté la littérature, nous avons voulu observer ces fameux cocotiers médicinaux. Nous avons parcouru de nombreuses iles, certaines en Polynésie Française, d'autres à Tonga, Samoa et Cook. Le résultat de cette enquête a été surprenant. Des anciens et certaines femmes nous ont décrit oviri comme un cocotier produisant de petites noix d'une couleur verte très sombre, tirant presque sur le gris. En revanche, en Polynésie Française, nous avons constaté que la plupart des gens dénomment actuellement "oviri" n'importe quel cocotier à noix vertes. Lorsque nous avons demandé à voir ces variétés, il nous a été présenté des cocotiers d'une couleur verte moyennement soutenue, et présentant des fruits très variés selon les arbres, fruits ronds, pointus ou ovales, en fait presque toutes les formes existant dans la cocoteraie.
Certains habitants du Fenua ont même affirmé que l'on peut se soigner tout aussi efficacement avec les noix de n'importe quelle variété de cocotier, à condition de descendre manuellement ces noix des arbres sans jamais les jeter à terre. Il est clair qu'en Polynésie, la façon dont on récolte les plantes revêt une grande importance. Mais cela signifie t-il pour autant que toute les variétés de cocotier sont interchangeables?

Alors, cocotiers médicinaux: mythe ou réalité ?

Cocotier médicinal observé à Tonga en 2002
Il se trouve que nous avons aussi étudié ces cocotiers à Tonga. Dans l'île de Tongatapu, nous avons eu la chance d'observer et de photographier le Niu Matakula  un cocotier médicinal très particulier dont certaines caractéristiques correspondent à celles décrites dans les anciens livres. Les photographies de ce cocotier sont reproduites ci-contre. Les noix sont petites, ovales, d'un sombre vert grisâtre très particulier; une partie de l'enveloppe de la noix (bourre) est rouge à l'intérieur. Ce cocotier se féconde parfois lui même ce qui explique qu'il puisse se maintenir en partie, sans se mélanger complètement aux autres variétés.

La tradition polynésienne mentionne un cocotier médicinal qui serait en partie à l’origine du nom de l’île de Niue. Cette île se situe à 2 400 km au nord-est de la Nouvelle-Zélande, au centre d'un triangle formé par les îles Tonga, Samoa et Cook. L’île de Niue a porté successivement plusieurs noms. La tradition mentionne que l'île a été rebaptisée après que le fils d’un chef et sa cour se soient rendus au Samoa à Manu'a, la patrie de leurs ancêtres (voir le livre Haia ! publié en 2010). Là, ils ont été accueillis comme des parents et ils se sont divertis. Lorsqu’ils ont décidé de partir pour Nukututaha, le chef de Manu'a, Moa, leur a donné deux variétés de cocotier spéciales et leur a expliqué les caractéristiques de chacune de ces variétés. À l'arrivée à Nukututaha, le fils du chef a présenté ces noix de coco spéciales et a déclaré: "Ko e Niu è!" (Voici, les noix de coco!). Les semences ont été plantées. La première variété est le pulu niu, la spécialement adaptée à la fabrication de cordes utilisées dans la construction de bâtiments traditionnels et la fabrication des bateaux. L’autre variété serait un cocotier médécinal appelé Niu Tea. L’eau de cette variété, la bourre, les feuilles sont utilisés pour divers usages médicinaux ainsi que pour la boisson et la nourriture. Selon la tradition, l’île aurait été nommée Niue pour marquer l’arrivée de ces deux variétés de cocotier et honorer le souvenir du chef de Manu’a.
Les recherches que nous avons menées au Samoa ne nous ont pas permis d’y retrouver le cocotier appelé dans l’ancien temps Niu Tea. En fait, les chercheurs Samoan pensaient que ce nom désignait un cocotier Nain Rouge importé très récemment de Malaisie ! Même au Samoa, certaines traditions se perdent...

Nous pensons donc qu'il existait dans le passé, au moins une sinon plusieurs variétés de cocotiers médicinaux.  Nous ignorons si ces variétés produisent réellement des molécules spécifiques responsables d'un effet curatif. En revanche, il existait un savoir traditionnel concernant les cocotiers médicinaux;  ce savoir traditionnel s'est progressivement dilué et a été en grande partie perdu. Quelques personnes en Polynésie Française connaissent sans doute encore de vrais cocotiers médicinaux, mais nous n'avons pas encore eu le privilège de les rencontrer.

Il est légitime de se demander pourquoi les polynésiens appellent « sauvages » (oviri) certains cocotiers médicinaux. Une hypothèse est que cette variété existait sur des îles, voire même sur une île précise, avant que les Polynésiens viennent s’y installer avec leurs autres variétés de cocotier. Cette hypothèse est difficile a confirmer. Des éléments de réponses sortiront peut-être de l'analyse de l’ADN des cocotiers et de l’étude des traditions orales.
Dans les plantations et les villages, les cocotiers se fécondent librement. Leur pollen voyage avec le vent et les insectes. Si un cocotier oviri est planté à proximité d'autres variétés, ces cocotiers se croisent  naturellement. Ainsi, les variétés se diluent progressivement. Certaines finissent par disparaître. En revanche, si un site isolé est planté uniquement de cocotiers oviri, ceux-ci se féconderont entre eux. Toutes les semences récoltées à cet endroit redonneront des cocotiers oviri.

Image de Sophie Caillon
Au Vanuatu, le cocotier, par les vertus de sa bourre, de son eau ou de son écorce, est un arbre médicinal. Selon Sophie Caillon, il permet de soigner des infections dermatologiques, urinaires et généralisées. 
L’huile naturelle de fruit germé (sous l’haustorium) permet de soigner des blessures à la tête et d’éloigner les mouches des blessures. Lorsque l’on est blessé par les fleurs de velliers qui provoquent des excroissances sur la peau, l’eau stagnant dans des spathes de cocotier au sol est frottée sur les blessures. Pour soigner la cigua (la ciguatera ou gratte)0, la chair d’une noix pas encore sèche prise au stade gêbibiag, doit être râpée avec le coquillage wertur pour en extraire le lait, qui filtré avec le tissu fibreux denir, sera bu par le malade malgré son mauvais goût d’huile. 
Les infections urinaires sont soignées par la substance extraite de l’écorce du stipe d’un cocotier aux fruits verts foncés dénommé môtô gototorog qo¾qo¾. Prélevée sur le côté du stipe orienté est, la seconde peau plus blanche et plus souple du stipe est broyée puis filtrée avec les tissus fibreux à la base des palmes. Il faut boire l’ensemble de la solution. Pour stopper une infection généralisée dont le symptôme est l’émergence de ganglions douloureux à l’aine (wotan), une corde de fibres de coco doit être nouée autour du pouce et du petit doigt du pied de la jambe souffrante. Un habitant de Vêtuboso se sentant faible et fébrile a été guéri par un homme de Gaua qui a placé un fruit de coco vert foncé à la tête de son lit. Au matin, le fruit a été ouvert sur une feuille de taro géant (vê, Alocasia macrorrhizos (L.) G. Don f.) ; l’eau était trouble comme si elle contenait des débris de taro que quelqu’un d’autre essayait de lui voler pour l’affaiblir.

À Hokua, nord Santo, un liquide rougeâtre est extrait de l’écorce du cocotier pour les femmes qui viennent d’accoucher. La bourre de coco, en décoction, est également utilisée à Pentecôte (Atartabanga) pour soigner les infections du tube digestif (diarrhée). On peut également noter qu’aux Torres, après que les arbres d’un futur jardin aient été brûlés, des feuilles de cocotiers sèches en feu sont traînées sur le sol pour tuer par la chaleur les scarabées ravageurs Papuana spp. (C. Mondragón, com. pers.).

Les villageois, pourtant déjà interrogés sur le sujet, ne parlent que lorsqu’ils sont confrontés à la maladie. Il ne s’agit pas semble-t-il d’une réticence à divulguer des secrets médicinaux sachant que nous avons facilement pu en collecter pour d’autres plantes locales.

Cocotier et sorcellerie

Contrairement à leur utilisation médicinale, les usages magiques du cocotier sont secrets. L’ensemble des « recettes » décrites ci-dessous sont incomplètes et n’ont jamais été divulguées aux autres membres de la communauté. Qôtônögôsôw, la noix sans sa bourre, sèche et évidée mais non brisée, est utilisée comme diffuseur de feuilles magiques, par exemple enfouie à l’entrée des bassins de taros pour éliminer les ravageurs. Le cocotier magique par excellence est celui qui, immature, a un anneau rouge autour de l’attache du pédoncule au-dessus des pores de germination : môtô wulmê. L’eau de cette catégorie de cocotier est en général utilisée comme excipient pour un grand nombre de recettes magiques dans lesquelles entrent d’autres plantes. Du temps de la hiérarchie du soq, l’homme qui passait son premier grade ne pouvait pas, entre autre, se laver pendant cent jours alors qu’il était enfermé dans la maison des hommes. À sa sortie, il devait se laver avec un seul fruit du stade mël (contient de l’eau mais pas encore d’amande) d’un cocotier à anneau rouge. Ce cocotier a également une utilisation magique pour faire venir les poissons nommés röwö. Dans une noix du stade mël bouchée par des galets de la plage, des feuilles magiques sont enfermées. Lorsque la marée est haute, cette noix doit être discrètement et invisiblement enterrée à la limite de la ligne d’eau. Cinq jours plus tard, on peut observer l’arrivée des poissons par l’obscurcissement de la couleur de la mer. Pour les stabiliser près du rivage, des algues consommables sont multipliées sous l’action d’une autre feuille jetée dans la mer.

Si un enfant ne sait pas bien marcher, la mère le présente à un cocotier dont les folioles bougent tout le temps même lorsque le vent s’arrête, le cocotier môtô lak. Le père agite de haut en bas des folioles de cocotier devant puis derrière l’enfant. Si quelqu’un a besoin d’avoir un discours éloquent, de « s’ouvrir le gosier » en bichlamar, il doit boire l’extrait, filtré dans les tissus fibreux du cocotier, de huit folioles de ce même arbre écrasées à la pierre et mélangées à de l’eau de mer. Avec les débris végétaux, le corps doit être frotté deux fois devant et deux fois derrière. Puis, ces débris sont jetés dans la quatrième vague pour que le corps puisse prendre la force de celle-ci. Outre la capacité à discourir, on acquiert ainsi la possibilité d’être un manar, « la personne qui sait » les danses coutumières et les rites, mais aussi l’ensemble de la flore et de la faune.

M. Rodman (1986) note le même procédé à Ambae où une noix de coco « chargée d’un maléfice » avait été enterrée sous le sentier menant aux maisons dont on voulait tuer le propriétaire. Sur Mota Lava, la noix de coco peut également être utilisée comme châtiment : lorsqu’une personne manque de respect, même par inadvertance, à sa tante paternelle, elle doit manger une noix de coco souillée par de la terre (Lanouguère-Bruneau, 2002). À Ambae, les âmes des hommes morts s’abritent au sommet des arbres et des cocotiers (Rodman, 1995).
En mars 2002, un couple de Vêtuboso a fait appel à un « sorcier » de Santo car les deux se plaignaient de maladies chroniques. Le sorcier trouva deux récipients en bourre de coco contenant de la craie, un crâne miniature sculpté, des débris d’os humain et de la cendre ; cette « recette » aurait été empruntée à des sorciers de Pentecôte0. L’un était enfoui dans la terre, sous le lit de leur maison sur pilotis. Le deuxième était enterré sous un cocotier que le propriétaire malade avait planté. Pour expliquer ce geste, des habitants du village nous expliquèrent que le cocotier symbolise l’homme avec ses fruits en forme de visage : les deux pores non germinatifs représentent les yeux et le pore germinatif la bouche à travers de laquelle on peut s’abreuver. Si le « sorcier » n’avait pas trouvé le paquet magique en bourre de coco, alors la mort de l’arbre aurait précédé celle de l’homme qui l’avait planté.



Que faut-il faire pour sauvegarder les cocotiers médicinaux et les remettre à la disposition de la population du Fenua ?

Il s'agit d'un long processus. Il faudra tout d'abord enquêter auprès des anciens polynésiens, dans les îles les moins touchées par la modernité, afin de retrouver au moins une vingtaine de "vrais" cocotiers médicinaux.  De l'observation de ces cocotiers, on déduira s'il faut considérer une ou plutôt deux variétés de cocotiers médicinaux.
S'il existe une seule variété de cocotier médicinal, il faudra récolter environ deux cent semences et les planter toutes dans un même site, choisi avec soin pour son isolement. Il faut qu'il n'y ait pas d'autre cocotier dans un rayon de 500 mètres autour de ce site. Ce site peut être un petit motu, une presqu'ile, ou une parcelle d'un hectare isolée dans une forêt ou dans une plantation d'autres espèces.
Les cocotiers vont mettre 6 à 8 ans avant de commencer à produire des fruits. Lorsque tous les cocotiers seront en production, il faudra les observer et éliminer ceux qui ne ressemblent pas à des cocotiers médicinaux. Tous les fils ne ressemblent pas à leur père. Il faudra probablement couper la moitié des cocotiers plantés pour ne garder que les "vrais" cocotiers médicinaux.
A partir de ce moment, la Polynésie Française disposera d'une source certifiée de semences de cocotiers médicinaux. Cette source de semences sera utile à bien des égards.  Elle permettra aux habitants du Fenua d'avoir des cocotiers médicinaux dans leurs jardins et de se soigner avec si nécessaire. Des agriculteurs ou des industriels pourront réaliser des plantations de cocotiers médicinaux et en tirer bénéfice. Le respect des traditions peut aller de pair avec la compétitivité économique. Ainsi un Monoï confectionné avec de l'huile de cocotier médicinal, selon les anciennes traditions polynésiennes, aurait un très grand succès d'un point de vue commercial.
Avant d'en arriver à cette rentabilité économique , il faudra une dizaine d'années pour constituer la source de semences, et encore une dizaine d'années pour que les agriculteurs installent les premières plantations de cocotiers médicinaux. Or il est très difficile de trouver des financements pour des projets s'étalant sur 20 ans. La plupart des bailleurs internationaux et des ministères veulent des projets qui se terminent en 4 à 5 ans. Dans le monde actuel, la tendance est de rechercher un bénéfice immédiat et rapide. Personne, ou presque personne, ne veut agir plus pour ses enfants. Et peut-être que les ancêtres polynésiens se retournent dans leur tombes en se demandant ce que sont devenus leurs précieux cocotiers médicinaux...

Références

2010. Haia ! An Introduction to Vagahau Niue. Teacher’s guide and support materials learning languages serie. Published for the Ministry of Education by CWA New Media, Box 19090, Wellington 6149, New Zealand. ISBN 978 0 478 34123 2. 385 p.
1931. Brown FBH. Flora of southeastern Polynesia. Bishop Museum Bull 84. Honolulu. 121-127.
Sophie Caillon, « Ethnobotanique du cocotier (Cocos nucifera L.) sur l’île de Vanua Lava (Vanuatu) », Journal de la Société des Océanistes, 133 | 2011, 333-352.

Autres informations:

Paul Pétard indique que "pour les diverses fumigations destinées aux parties du corps, les anciens marquisiens choisissaient deux longues noix de la variété ehi vevetahi. Dans chacune ils enlevaient le tiers supérieur, contenant les yeux, de façon qu'en disposant les deux noix l'une sur l'autre, les orifices s'ajustassent exactement..."
Extrait trouvé sur Gallica, très ancien : « Enfin, parmi les coccidées, l'Aspidiotus vastatrix et le  Dactylopius cocotis s'attaquent aux jeunes feuilles, qu'ils  épuisent et font tomber. Il est difficile ici de recommander  les insecticides ordinaires, jus de tabac, bouillie bordelaise,  émulsion de pétrole, etc., car il s'agit de vastes plantations  d'arbres qui ont de 15 à 20 mètres de hauteur. Le seul procédé pratique est donc, peut-être, de détruire par le feu les  arbres fortement infestés. On dit que, à Tahiti, où l'Aspidiotus vastatrix a fait, il y a quelques années, de grands  dégâts, il y a une variété de cocotier (dite oviri) qui résiste  un peu mieux que les autres. »

Au Vanuatu, le cocotier, par les vertus de sa bourre, de son eau ou de son écorce, est un arbre médicinal. Selon Sophie Caillon, Il permet de soigner des infections dermatologiques, urinaires et généralisées. 
L’huile naturelle de fruit germé (sous l’haustorium) permet de soigner des blessures à la tête et d’éloigner les mouches des blessures. Lorsque l’on est blessé par les fleurs de velliers qui provoquent des excroissances sur la peau, l’eau stagnant dans des spathes de cocotier au sol est frottée sur les blessures. Pour soigner la cigua (la ciguatera ou gratte)0, la chair d’une noix pas encore sèche prise au stade gêbibiag, doit être râpée avec le coquillage wertur pour en extraire le lait, qui filtré avec le tissu fibreux denir, sera bu par le malade malgré son mauvais goût d’huile. 
Les infections urinaires sont soignées par la substance extraite de l’écorce du stipe d’un cocotier aux fruits verts foncés dénommé môtô gototorog qo¾qo¾. Prélevée sur le côté du stipe orienté est, la seconde peau plus blanche et plus souple du stipe est broyée puis filtrée avec les tissus fibreux à la base des palmes. Il faut boire l’ensemble de la solution. Pour stopper une infection généralisée dont le symptôme est l’émergence de ganglions douloureux à l’aine (wotan), une corde de fibres de coco doit être nouée autour du pouce et du petit doigt du pied de la jambe souffrante. Un habitant de Vêtuboso se sentant faible et fébrile a été guéri par un homme de Gaua qui a placé un fruit de coco vert foncé à la tête de son lit. Au matin, le fruit a été ouvert sur une feuille de taro géant (vê, Alocasia macrorrhizos (L.) G. Don f.) ; l’eau était trouble comme si elle contenait des débris de taro que quelqu’un d’autre essayait de lui voler pour l’affaiblir.

À Hokua, nord Santo, un liquide rougeâtre est extrait de l’écorce du cocotier pour les femmes qui viennent d’accoucher. La bourre de coco, en décoction, est également utilisée à Pentecôte (Atartabanga) pour soigner les infections du tube digestif (diarrhée). On peut également noter qu’aux Torres, après que les arbres d’un futur jardin aient été brûlés, des feuilles de cocotiers sèches en feu sont traînées sur le sol pour tuer par la chaleur les scarabées ravageurs Papuana spp. (C. Mondragón, com. pers.).

Les villageois, pourtant déjà interrogés sur le sujet, ne parlent que lorsqu’ils sont confrontés à la maladie. Il ne s’agit pas semble-t-il d’une réticence à divulguer des secrets médicinaux sachant que nous avons facilement pu en collecter pour d’autres plantes locales.

Cocotier et sorcellerie

Contrairement à leur utilisation médicinale, les usages magiques du cocotier sont secrets. L’ensemble des « recettes » décrites ci-dessous sont incomplètes et n’ont jamais été divulguées aux autres membres de la communauté. Qôtônögôsôw, la noix sans sa bourre, sèche et évidée mais non brisée, est utilisée comme diffuseur de feuilles magiques, par exemple enfouie à l’entrée des bassins de taros pour éliminer les ravageurs. Le cocotier magique par excellence est celui qui, immature, a un anneau rouge autour de l’attache du pédoncule au-dessus des pores de germination : môtô wulmê. L’eau de cette catégorie de cocotier est en général utilisée comme excipient pour un grand nombre de recettes magiques dans lesquelles entrent d’autres plantes. Du temps de la hiérarchie du soq, l’homme qui passait son premier grade ne pouvait pas, entre autre, se laver pendant cent jours alors qu’il était enfermé dans la maison des hommes. À sa sortie, il devait se laver avec un seul fruit du stade mël (contient de l’eau mais pas encore d’amande) d’un cocotier à anneau rouge. Ce cocotier a également une utilisation magique pour faire venir les poissons nommés röwö. Dans une noix du stade mël bouchée par des galets de la plage, des feuilles magiques sont enfermées. Lorsque la marée est haute, cette noix doit être discrètement et invisiblement enterrée à la limite de la ligne d’eau. Cinq jours plus tard, on peut observer l’arrivée des poissons par l’obscurcissement de la couleur de la mer. Pour les stabiliser près du rivage, des algues consommables sont multipliées sous l’action d’une autre feuille jetée dans la mer.

Si un enfant ne sait pas bien marcher, la mère le présente à un cocotier dont les folioles bougent tout le temps même lorsque le vent s’arrête, le cocotier môtô lak. Le père agite de haut en bas des folioles de cocotier devant puis derrière l’enfant. Si quelqu’un a besoin d’avoir un discours éloquent, de « s’ouvrir le gosier » en bichlamar, il doit boire l’extrait, filtré dans les tissus fibreux du cocotier, de huit folioles de ce même arbre écrasées à la pierre et mélangées à de l’eau de mer. Avec les débris végétaux, le corps doit être frotté deux fois devant et deux fois derrière. Puis, ces débris sont jetés dans la quatrième vague pour que le corps puisse prendre la force de celle-ci. Outre la capacité à discourir, on acquiert ainsi la possibilité d’être un manar, « la personne qui sait » les danses coutumières et les rites, mais aussi l’ensemble de la flore et de la faune.

M. Rodman (1986) note le même procédé à Ambae où une noix de coco « chargée d’un maléfice » avait été enterrée sous le sentier menant aux maisons dont on voulait tuer le propriétaire. Sur Mota Lava, la noix de coco peut également être utilisée comme châtiment : lorsqu’une personne manque de respect, même par inadvertance, à sa tante paternelle, elle doit manger une noix de coco souillée par de la terre (Lanouguère-Bruneau, 2002). À Ambae, les âmes des hommes morts s’abritent au sommet des arbres et des cocotiers (Rodman, 1995).
En mars 2002, un couple de Vêtuboso a fait appel à un « sorcier » de Santo car les deux se plaignaient de maladies chroniques. Le sorcier trouva deux récipients en bourre de coco contenant de la craie, un crâne miniature sculpté, des débris d’os humain et de la cendre ; cette « recette » aurait été empruntée à des sorciers de Pentecôte0. L’un était enfoui dans la terre, sous le lit de leur maison sur pilotis. Le deuxième était enterré sous un cocotier que le propriétaire malade avait planté. Pour expliquer ce geste, des habitants du village nous expliquèrent que le cocotier symbolise l’homme avec ses fruits en forme de visage : les deux pores non germinatifs représentent les yeux et le pore germinatif la bouche à travers de laquelle on peut s’abreuver. Si le « sorcier » n’avait pas trouvé le paquet magique en bourre de coco, alors la mort de l’arbre aurait précédé celle de l’homme qui l’avait planté.

Références

2010. Haia ! An Introduction to Vagahau Niue. Teacher’s guide and support materials learning languages serie. Published for the Ministry of Education by CWA New Media, Box 19090, Wellington 6149, New Zealand. ISBN 978 0 478 34123 2. 385 p.
1931. Brown FBH. Flora of southeastern Polynesia. Bishop Museum Bull 84. Honolulu. 121-127.