LA SCIENCE ILLUSTRÉE TOME DIX-SEPTIEME - Année 1896.
Ce n'est pas par la fabrication de tissus grossiers et de cordages que la libre des noix de coco tend à acquérir de nos jours une importance considérable; si incroyable que cela paraisse, cette fibre, qui n'est au point de vue chimique que de la cellulose imprégnée de matières ligneuses, n'aspire à rien moins qu'à remplacer les épaisses plaques de blindage qui protègent nos navires modernes tout en les alourdissant d'une façon si inquiéiante.
L'idée d'appliquer ce produit à la protection des navires eut pour origine un fait qui se passa aux îles Seychelles en 1880. Les perrés des quais furent protégés d'une façon merveilleuse à l'aide de palissades en bambous dans l'intervalle desquelles était tassée la fibre du cocotier.
En France, les premiers essais furent faits en 1885 au port de Toulon. Des boulets pleins furent tirés à 30 mètres de distance sur une couche de fibres feutrées, tassées de façon à peser 120 kilogrammes au mètre cube. Après chaque coup, les fibres rebouchaient automatiquement elles-mêmes l'ouverture faite par le boulet, à ce point qu'un marin robuste, malgré tous ses efforts, ne parvenait pas à y introduire le bras.
Des expériences d'un autre, ordre donnèrent des résultats aussi étonnants. On essaya avec un énorme tampon de libres comprimées de cocotier d'aveugler une large voie d'eau pratiquée à dessein sur un vieux bâtiment. L'eau fut absorbée par capillarité et la matière se gonfla produisant une fermeture hermétique. Devant ce résultat, un ingénieur des constructions navales put dire avec raison : « L'eau sert ainsi à obstruer le passage de l'eau. »
Ces essais montrèrent donc que cette cellulose comprimée possédait deux propriétés précieuses :
celle de se refermer automatiquement, d'une façon à peu près complète après le passage d'un boulet;
celle d'obstruer parfaitement une voie d'eau par l'accroissement même de son volume
Elle possède encore d'autres qualités : elle est légère; moyennement tassée, elle ne pèse que 60 kilogrammes au mètre cube, tandis qu'un même volume de liège, dont la légèreté sert toujours de terme de comparaison, pèse 250 kilogrammes. De plus, elle est à peu près incombustible, surtout lorsqu'elle est serrée, donc aucun danger d'incendie de son fait quand elle est traversée par un boulet ou par un obus.
Cet ensemble remarquable de propriétés a engagé les ingénieurs français à remplir les cofferdams de cette précieuse substance. Les cofferdams sont des cellules de faible volume, située à l'avant et à l'arrière du navire, c'est-à-dire dans les parties généralement dépourvues de cuirasse; elles sont destinées à empêcher l'irruption de l'eau à l'intérieur du bâtiment. C'est à cause de cet usage et par une confusion singulière du contenant et du contenu qu'on a donné à la cellulose comprimée retirée de la noix de coco, le nom de cofferdam sous lequel elle est généralement connue.
Avant d'employer le cofferdam, des essais nombreux ont. été faits dans les marines militaires du monde entier sur un. grand nombre d'autres substances : le varech comprimé, le charbon, la pierre ponce, le coton, le liège, ont tour à tour été essayés. Le liège est encore employé par les Anglais, mais surtout par les Italiens : l'Inflexible, le Handolo, Yltalia ont des ceintures de liège ; nous ne saurions en être jaloux.M. le contre-amiral Pallu de La Barrière, dans une étude très remarquée, propose même de charger entièrement le cofferdam de la protection des navires. Il supprime la ceinture cuirassée et la remplace par un double rang de cellules remplies de cellulose, montant au-dessus de la ligne de flottaison et descendant très bas de manière à recouvrir toutes les parties jugées vulnérables.
Pour un bâtiment du type de Y Amiral-Baudin, l'économie de poids résultant de cette transformation serait de 3,000 tonnes. Cet allègement aurait des conséquences énormes ; le tirant d'eau serait diminué de 86 cm ce qui permettrait au vaisseau de s'approcher davantage des côtes; la vitesse serait accrue même sans augmentation de la puissance de la machine; l'approvisionnement de charbon pourrait être plus considérable, c'est-à-dire que le rayon d'action du bâtiment serait plus grand. On voit quelles conséquences pourrait avoir l'introduction sur une grande échelle de la fibre des noix de coco dans les constructions maritimes.